Scandale du Mediator : pourquoi a-t-on su si tard ?

Une dame d'un certain âge est sur le point d'avaler un comprimé. Elle tient un verre d'eau dans sa main droite.
Pendant des années, le Mediator a été prescrit comme coupe-faim ou antidiabétique à des milliers de patients en France. Présenté comme inoffensif, ce médicament s’est révélé responsable de graves effets secondaires, notamment des atteintes cardiaques parfois mortelles. Ce scandale, qui a éclaté publiquement en 2009 grâce à l’alerte de professionnels de santé, a mis en lumière des défaillances majeures dans le système de pharmacovigilance français. Qu’est-ce que le Mediator ? Pourquoi a-t-il été autorisé aussi longtemps ? Et quelles sont les conséquences pour les victimes et la régulation des médicaments aujourd’hui ? Retour sur une affaire qui a profondément marqué le monde médical et l’opinion publique.

Qu’est-ce que le médicament Mediator ?

Le Mediator (nom de la molécule : benfluorex) est un médicament qui a longtemps été commercialisé en France par les laboratoires Servier. Initialement indiqué comme un traitement adjuvant pour les diabétiques en surcharge pondérale, il a aussi été largement prescrit en dehors de ce cadre, notamment comme coupe-faim pour favoriser la perte de poids. Le Mediator a été commercialisé en France de 1976 jusqu’à son retrait du marché en 2009.

Sur le plan pharmacologique, le benfluorex est un dérivé des amphétamines. Il agit en modifiant le métabolisme des lipides et du glucose, mais surtout en libérant de la sérotonine, ce qui entraîne un effet anorexigène. Cependant, le Mediator est rapidement devenu controversé en raison de ses effets secondaires graves, en particulier les atteintes des valves cardiaques (valvulopathies) et les hypertensions artérielles pulmonaires.

Le médicament a été retiré du marché français en novembre 2009, après plus de trois décennies d’utilisation. Ce retrait est intervenu à la suite de plusieurs alertes sanitaires et de l’identification d’un lien entre Mediator et des pathologies cardiaques sévères. Le scandale du Mediator a conduit à une vaste enquête judiciaire et à une refonte des dispositifs de pharmacovigilance en France.

Aujourd’hui, le Mediator est cité comme l’un des plus grands scandales sanitaires français. Il a mis en lumière des défaillances dans le système de surveillance des médicaments, et rappelé l’importance du respect des indications thérapeutiques, de la transparence scientifique, et de la sécurité des patients.

trigger

Pourquoi ce médicament a-t-il été autorisé si longtemps ?

Le Mediator a été autorisé en France pendant plus de 30 ans, de 1976 à 2009. Il était initialement prescrit pour traiter les personnes diabétiques en surpoids, mais a été largement détourné comme coupe-faim. Sa longue autorisation repose sur plusieurs facteurs, dont voici quelques-uns :

  • présentation initiale comme médicament utile pour le diabète : le Mediator a été présenté comme un régulateur lipidique, censé améliorer le diabète de type 2. Cela a permis à son fabricant, Les Laboratoires Servier, de le faire approuver pour une utilisation à long terme, même si ses effets étaient très proches de ceux des anorexigènes (coupe-faim), déjà suspectés d'effets secondaires graves ;
  • manque de réévaluation sérieuse par les autorités : pendant des années, l'Agence du médicament (alors appelée Afssaps) n'a pas réévalué le rapport bénéfice/risque du Mediator de manière rigoureuse. Cela malgré des signaux d’alerte sur des effets secondaires graves, notamment des valvulopathies cardiaques (lésions des valves du cœur) et des hypertensions pulmonaires.
  • des signaux ignorés : dès les années 1990, le benfluorex était soupçonné d’effets similaires à ceux d’autres coupe-faim interdits (comme l’Isoméride). Pourtant, il a fallu attendre les alertes de la pneumologue Irène Frachon en 2009 pour que le lien entre Mediator et valvulopathies soit sérieusement pris en compte.
  • retrait tardif (2009) : le Mediator n’a été retiré qu’en novembre 2009, bien après que d’autres pays européens l’ont eu banni. Environ 5 millions de personnes l’ont pris en France, et il aurait causé entre 500 et 2 000 décès selon les estimations.
Bon à savoir : en 2021, les laboratoires Servier ont été condamnés à 2,7 millions d’euros d’amende pour tromperie aggravée et homicides involontaires. L’ANSM (anciennement Afssaps) a également été condamnée. Plus récemment, en appel, une amende portée à 8,75 millions d’euros, avec obligation de rembourser près de 415 millions d’euros aux mutuelles pour escroquerie.
Vous vous interrogez sur les risques du Mediator ?
Prenez conseil auprès de nos médecins en téléconsultation pour faire le point sur votre situation.

Quelles sont ces complications graves ?

Les valves atteintes (en fait la valve mitrale), sont fibreuses et rétractées, ce qui entraine des fuites et une surcharge de travail pour le ventricule gauche, qui éjecte le sang dans le reste de l'organisme.  

La dégradation de la fonction cardiaque qui en découle se fait sur plusieurs années, si on ne connait pas l'anomalie. Par contre les dysfonctionnements que l'on peut retrouver sur une échocardiographie faite pour d'autres motifs sont plus précoces.  

L'historique et les chiffres : 500 personnes, actuellement, ont donc eu des complications très graves, puisque se terminant par un décès. Cela représente une fréquence de 1 pour 10 000, et 3 500 hospitalisations pour prise en charge de valvulopathies, donc 7 pour 10 000.  

Cette très faible fréquence, bien sûr inacceptable et qui a justifié le retrait, ne peut malheureusement pas commencer à apparaître avant un certain nombre de mois d'utilisation, devenant alors détectable, soit en raison de symptômes, soit lors d'un examen systématique. Ce sont donc surtout les personnes traitées assez longtemps, qui en tiraient peut-être un effet thérapeutique, qui ont développé une atteinte valvulaire.  

Ensuite, il ne suffit pas pour déclarer une molécule responsable, de constater la valvulopathie, car c'est une pathologie qui, elle, est relativement fréquente. L'alerte se fait donc quand quelques cas sans autre cause trouvée sont déclarés à la pharmacovigilance.  

A ses débuts, la surveillance recherchait surtout des signes d'HTAP (hypertension artérielle pulmonaire), complication connue des précurseurs du Mediator ®. La molécule avait été modifiée pour éviter cette complication :

  • En septembre 2007 : le dossier a été révisé, et l''indication comme « adjuvant du régime adapté dans les hypertriglycéridémies » est supprimée.  
  • En septembre 2008 : il est inscrit au tableau des génériques.
  • En octobre 2009 : la commercialisation de 2 génériques est autorisée.
  • Et en novembre 2009, suite à des résultats d'études de suivi, suspension de l' AMM (autorisation de mise sur le marché) des spécialités contenant du benfluorex (MEDIATOR ® et ses génériques) en raison d'une balance bénéfice-risque jugée défavorable.  

En totale contradiction avec l'autorisation du mois précédent, il semblerait ici qu'il y ait eu une absence de synchronisation entre le dépouillage des résultats des études et la délivrance des AMM. Plus précisément, cette décision fait suite à l'évaluation de nouvelles données qui mettent l'accent sur l'efficacité modeste de ces médicaments dans la prise en charge du diabète de type 2, et qui confirment le risque d'atteinte des valves cardiaques.

En pratique, lors de la suspension de l'AMM, les recommandations étaient les suivantes :  

  • Pour les patients actuellement traités par benfluorex, il est recommandé, après l'arrêt de ce médicament :
  • d'ajuster si besoin le traitement antidiabétique ;
  • de rechercher d'éventuels signes ou symptômes évoquant une atteinte valvulaire et, si nécessaire, de demander des examens complémentaires, voire une consultation spécialisée.
  • Pour les patients ayant été traités par benfluorex dans le passé :
  • une consultation médicale systématique visant spécifiquement à dépister une valvulopathie n'était pas justifiée ;
  • mais, par mesure de précaution, il était recommandé de procéder à un interrogatoire et un examen clinique à la recherche de symptômes ou de signes évocateurs d'une valvulopathie.

Quelles sont précisément les informations qui ont tout précipité ?

La pharmacovigilance s'était mise en place en 1990, quand les complications d'un des métabolites (= produit de transformation dans l'organisme), commun à Isoméride ® et Pondéral ®, retirés en 97, ont été connues. Il y avait de plus un risque de sur-prescription comme coupe-faim de remplacement. Mais à l'époque, ces effets secondaires connus étaient l'HTAP, et il n'y en n'avait pas plus chez les traités que chez ceux qui ne l'étaient pas. Les nouvelles données qui ont entrainé une réévaluation en mai 2009 étaient :

  • des notifications spontanées de valvulopathie dans les déclarations, plus un cas signalé dans un article, et 5 cas d'HTAP ;
  • l'hôpital de Brest, en exploitant ses données informatisées, a retrouvé une incidence augmentée de valvulopathies ;
  • et l'hôpital d' Amiens, en étudiant des dossiers d'échocardiographie, a retrouvé lui aussi 45 cas entre 1976 et 2009, chiffre plus important que prévu ;
  • une étude cas-témoin sur 426 insuffisances mitrales, dont 22 inexpliquées : la recherche de la prise de benfluorex a montré un surrisque significatif de 1 à 40 entre le patient non traité, qui a une probabilité faible d'avoir une insuffisance mitrale, et un patient traité ; il a donc été décidé de suspendre l'AMM ;
  • en même temps, l'étude « Regulate » du laboratoire Servier lui-même, débutée avant la mise en place du système d'alerte officiel de pharmacovigilance, qui le comparait avec un autre traitement du diabète, avec des échographies systématiques dans les éléments du suivi, a montré l'apparition d'une insuffisance mitrale avec une fréquence significative sur un an de traitement. Les résultats ont été portés à la connaissance de l'AFSSAPS en septembre 2009 ;
  • parallèllement, la CNAMTS, en étudiant les soins pour ce motif chez un million de diabétiques, a montré un sur-risque modéré, de 2 à 4, de valvulopathie, avec ou sans chirurgie de remplacement, selon qu'ils prenaient le Mediator® ou pas ;
  • le laboratoire tient par ailleurs à préciser que, en-dehors de tout traitement, on retrouve déjà sur les échographies systématiques de ces mêmes études, des anomalies valvulaires chez un patient diabétique sur deux, et les chiffres annoncés de sur-risque sont des extrapolations statistiques et non pas des cas documentés.
Bon à savoir :
  1. Valvulopathie : c’est une atteinte, par maladie ou anomalie congénitale, d’une valve cardiaque ; une valve cardiaque est un « portail fait de 2 à 3 valvules, entre une oreillette et le ventricule dans lequel est éjecte activement le sang, récupéré passivement via des veines.
  1. AFSSAPS : Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, qui chapeaute les autorisations et les évaluations de tous les médicaments et dispositifs médicaux
  1. CNAMTS : Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés.
Inquiet(e) à propos du Mediator ?
Consultez un médecin en ligne pour obtenir des réponses claires sur ce médicament.

L’avis des experts de MédecinDirect sur le Mediator

Le Mediator, médicament à base de benfluorex, a été commercialisé entre 1976 et 2009, principalement comme antidiabétique, mais largement détourné comme coupe‑faim. Malgré des alertes dès les années 1990, il est resté en vente pendant 33 ans en France.

Le benfluorex est proche chimiquement de la fenfluramine. Son métabolite, la norfenfluramine, a été identifié comme responsable de valvulopathies et hypertension artérielle pulmonaire, des effets similaires à ceux observés chez l’Isoméride et le Pondéral, retirés en 1997.

Des études épidémiologiques, notamment par la CNAM, estiment entre 1 500 et 2 000 décès liés au Mediator, avec des milliers d’hospitalisations pour insuffisance valvulaire, et des cas nécessitant des interventions chirurgicales cardiaques.

Dès la fin des années 1990, des signalements médicaux faisaient état de valvulopathies évoquant un lien avec le Mediator, sans réaction suffisante des autorités. Le procès a mis en évidence des conflits d’intérêts significatifs entre les experts de l’Agence du médicament et les laboratoires Servier, empêchant un retrait rapide du médicament.

En somme, le Mediator ne doit plus être prescrit. Il est désormais reconnu comme un produit à haut risque cardiovasculaire sans bénéfice démontré. Si vous avez été exposé au Mediator, vérifiez votre suivi médical cardiaque, même des années après l'arrêt.

SOURCES :
  • Assurance maladie : le lien
  • Editions législatives : le lien
EN BREF
Retrouvez aussi nos conseils santé sur Youtube

Nos actualités médicales